C’est rare que j’écris à propos d’autres choses que de mes voyages mais aujourd’hui, j’ai envie de vous ouvrir sur un autre de mes mondes, très présent, soit mon métier de comédienne.
Pas présent dans le sens que je travaille beaucoup, présent dans le sens que c’est une dimension présente à chaque seconde de ma vie. Présent parce que même si je travaille peu, je suis toujours en train de créer des projets, penser à des concepts, écrire des idées, faire mes taxes, écrire des courriels, refaire mes photos de casting, mes démos, prendre de la formation et quand je suis chanceuse, j’ai une audition.
Pas une audition pour un rôle dans une émission à la tv, là. Parce qu’au Québec, on aime bien avoir une douzaine de personnes qui travaillent et les utiliser à toutes les sauces: à la radio, dans tous les téléromans, dans les jeux télévisés, dans les talk-shows, au théâtre, etc.
Non, je parle des auditions que nous, les autres acteurs, on fait. Celles pour de la pub.
Je ne suis pas en train de dire que de la pub, c’est mal. J’ai été chanceuse dans ma vie, j’ai décroché plusieurs belles pubs bien réalisées qui ont été un réel plaisir à tourner. En plus, c’est payant.
Ce que je déplore, c’est le déséquilibre de plus en plus vertigineux au Québec, entre les auditions – appelons-les alimentaires, et les auditions passionnantes.
Quand on choisit un métier, on le fait souvent basé sur ce qu’on aime faire, ce dans quoi on excelle. Moi, je suis née de deux parents artistes – musiciens plus précisément – et je n’ai jamais envisagé faire autre chose que des arts. J’aime l’art de la communication. C’est dans ça que je suis bonne, tabarouette. J’aimerais bien mieux être experte-comptable, mais c’est pas ça mon don.
Ça fait 15 ans que je travaille d’arrache-pied pour vivre de mon métier. Ceux qui me connaissent le savent. J’ai ajouté énormément de cordes à mon arc. Je ne suis pas des celles qui s’assoient sur ses lauriers en attendant que le téléphone sonne.
Mais j’ai besoin de le dire, ce qu’on fait à notre culture au Québec est extrêmement triste. Je trouve qu’on assiste au meurtre de la culture québécoise, et on le fait silencieusement, sans prendre action. (J’avoue me sentir aussi impuissante que vous là-dedans.)
Depuis plusieurs années, moi et mes collègues remarquons l’état de la situation qui empire à chaque année. Il y a de moins en moins de travail, de moins en moins d’auditions, de moins en moins d’argent quand on décroche finalement du travail. Ce qu’il y a de plus en plus, c’est des artistes et artisans qui retournent aux études, qui font des dépressions et des burn-out, des changements de carrière…
Vous êtes vous déjà demandé c’est comment une audition de pub?
Il y en a des corrects, il y en a des drôles, puis il y en a – trop malheureusement – où on sort de là en se sentant un peu souillé dans notre amour-propre. Comme celle que je viens de faire.
***
Je suis arrivée à mon audition avec 10 minutes d’avance, un standard de respect à mon avis. J’ai vite constaté qu’il y avait du retard. Ça arrive. C’est toujours un peu achalant parce qu’on est pas payé pour auditionner. Puis vient mon tour, 20 minutes après l’heure de ma convocation.
Quand on entre dans une salle d’audition, il y a souvent plusieurs visages inconnus: les Clients. Notez le C majuscule, parce que c’est des gens importants, les Clients.
Aujourd’hui, ils étaient 3. Aucun n’a daigné nous regarder, moi et mon partenaire d’audition. Un parlait au téléphone, l’autre était sur son laptop, et le troisième… oh! J’ai réussi à faire un eye-contact! On s’est salué.
Frette. Mais ça ne me déstabilise plus, j’en ai vu d’autres.
Je m’installe sur le X en papier collant sur le plancher, regarde la caméra pour procéder à mon identification… et y a le dude qui parle au téléphone à deux pieds de la caméra sans se sentir mal à l’aise d’enterrer mon nom quand je le dis.
Puis le gars qui nous donne la réplique vient nous expliquer ce qu’on doit faire. On sent qu’il y a une ambiance poche dans la salle mais on ne dit jamais rien nous les comédiens parce qu’on est gentils, on veut être aimés et on veut surtout être engagés parce que, comme tout le monde, on a des paiements qui rentrent à tous les mois, nous aussi.
Et j’ajouterais avec une certaine pudeur que le nombre d’auditions ces temps-ci est tellement bas que ça fait peur donc quand j’en ai une, je veux la transformer en autre chose qu’un aller-retour bénévole dans le métro de Montréal!
On fait la première prise. Un des Clients lève un oeil vers nous et nous redit les mêmes indications qu’on venait de recevoir – parce qu’il n’écoutait pas quand le gars nous les a dites.
Ok, le gars, c’est souvent lui qui nous donne la réplique en audition alors je ne le nommerai pas mais on va dire qu’il s’appelle Serge.
On refait une autre prise. Le Client répond au téléphone… Silence. On attend après lui. Il finit sa conversation et raccroche.
On refait une autre prise. L’autre Client répond au téléphone. Mais lui, il était trop important pour raccrocher, il gérait des grosses affaires de polos en polyester pis les artistes, ils attendront.
On attend.
Et tous les autres comédiens dans la salle d’attente aussi par le fait même.
Silence de malaise. Serge est excédé, il me dit qu’il se retient de pas tuer quelqu’un. Il respire dans la douleur. J’échange un regard avec l’autre acteur. Serge retourne au fond de la pièce. Le client s’aperçoit qu’on attend après lui, et irrité, fait signe à Serge d’enchaîner même s’il parle au téléphone.
Pourquoi on ne peut pas faire pause dans ce genre de situation et considérer sérieusement nos options au lieu d’agir machinalement en bonnes personnes polies et bien élevées que nous sommes?
Donc on a refait la prise pendant que cet être d’un immense respect pour l’Humain continuait sa discussion. Son collègue s’est mis à faire des suggestions à mon partenaire. Au total, il a eu droit à 3 suggestions de jeu, moi, on ne m’a même pas regardée.
Je dis pas ça pour faire pitié. J’en ai fait des tonnes d’auditions de pub. Des fois, tu le sens qu’ils trippent sur ton cas, d’autres fois, c’est juste pas ça qu’ils cherchent. Y a quand même des gens qui sont meilleurs que d’autres pour te faire sentir que tu t’es vraiment déplacée pour rien.
Je suis sortie de la pièce, suivie de près par Serge, qui s’est excusé – bien que ce soit aucunement de sa faute. Tout ce que j’aurai réussi à exprimer dans mon audition, c’est ce que je lui ai dit à cet instant: Ouais, c’était pas mal poche…!
Calice!!!!
Quand a-t-on le droit de se faire respecter? Quand je travaillais dans les salons de l’auto et que j’avais un misogyne qui débarquait avec ses grandes répliques qu’il croyait originales, genre: «viens-tu en option avec le char?», je me faisais un plaisir de le remettre à sa place, sans délicatesse. Parce que je ne parlais pas à un employeur potentiel.
La donne change drastiquement quand on veut se faire engager. Et pourtant, je me dis qu’on devrait avoir droit à un minimum de considération lors d’une audition. Ce manque de respect des comédiens en salle d’audition, ou à l’extérieur (à refuser de nous voir en audition parce qu’on est pas assez connu par exemple, même si on a le potentiel et le curriculum nécessaire à l’emploi) finit par nous rendre désabusé et cynique. Vraiment pas la personne que je veux être.
Mais je vous le dis, la prochaine fois que je suis en audition et que je me fais faire le coup, je sors sans finir l’audition. À quoi bon, de toutes façons? J’étais dans la pièce, mais je n’ai pas été vue.
C’est un petit milieu, on a peur des représailles, d’être boudée par les directeurs de casting, les boîtes de production, les réalisateurs, etc. Mais je pense que toute cette gang qui travaille comme nous très fort, qui nous a vus souvent en audition, qui nous connait et sait qu’on a une bonne éthique de travail, sera d’accord qu’il y a des limites à se faire manquer de respect. Et ils comprendront.
Non?
Si vous êtes curieux:
Triste constat! 😝
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J’espère que quelques « Clients » liront ton texte! Tu es mon idole!
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