Mon cadran sonne mais déjà, j’avais été tirée de mon sommeil. La chambre de Lama est juste au dessus de la mienne et ses chants tibétains m’ont doucement amenée à la réalité ce matin. J’enfile mes pantalons de yoga et je monte dans la salle de méditation.
C’est con, Internette, mais je suis pas à l’aise de me montrer publiquement aussi pas arrangée! Caline, c’est grave, j’ai à peine trente ans et je suis mal parce que des inconnus vont voir de quoi j’ai l’air quand je me lève le matin!
Je m’installe sur un coussin et observe les participants qui prennent place à leur tour. À peine sorti du lit, tout le monde parle à voix basse, comme pour respecter la partie en eux qui dort encore! L’encens pique mes narines. Lama arrive dans la pièce, qui s’illumine malgré le temps maussade dehors.
Il commence en nous donnant des règles simples à respecter. Le but dans la philosophie bouddhiste est d’atteindre le bonheur donc, on ne doit pas parler négativement cette semaine. Pas de politique, d’enjeux environnementaux, de discussions sur nos problèmes personnels, etc. Ça y est, je n’oserai plus dire un mot! Voyons, c’est sûr que si j’en viens à parler un peu de moi, je vais discuter des problèmes et difficultés que j’ai rencontrés dernièrement.
J’essaie de ramener mon attention sur l’enseignement de Lama qui parle maintenant de ce qu’on va apprendre au cours des prochains jours.
Les termes bouddhistes sont tout un vocabulaire inconnu pour moi. Comme «êtres sensibles», «antidotes» ou «effort joyeux». Le côté religion du bouddhisme ne m’appelle pas, par contre j’adhère beaucoup à la philosophie. Ce sont des belles valeurs, simples, qui me rejoignent. Lama parle d’un des fondements de leur philosophie, le détachement. Attachement = souffrance. J’aurais envie de lui demander : mais comment on fait pour pas s’attacher? Mais j’ose pas. Je connais pas encore assez le groupe pour prendre ma place…
Mais vraiment, je me pose la question. Comment est-ce possible de ne pas s’attacher? L’attachement nous surprend quand on s’y attend le moins. On voit quelqu’un dans un contexte un peu intime, on pense qu’on se fout de lui et un jour, il nous ignore, ne nous appelle pas pendant trop de jours, puis on réalise qu’on s’est fait enfirouaper! Notre valeur personnelle semble soudain dépendre du regard que Monsieur X porte sur nous. On perd le contrôle, tombe en obsession, regarde notre cellulaire trop souvent. Ça n’a rien de drôle! Tu sais de quoi je parle, Internette!
Et puis merde, je la pose, ma question!
– Comment on fait pour ne pas s’attacher?
– Attachement, normal! me répond Lama dans son québécois unique. Si amour universel, compassion, c’est bon. Si attachement dans l’égo : c’est souffrance…
En d’autres mots, ou en traduction libre de ma part : Il y a deux formes d’attachement. L’amour universel et l’attachement relié à des blessures d’égo. Bien entendu, on aura immanquablement de l’amour pour nos parents, notre amoureux, nos amis et si on leur souhaite du bien sans attendre quoi que ce soit en retour, si on parvient à être dans un amour détaché, cela est bénéfique pour tout le monde. C’est sain. Par contre, si on tombe dans une zone où on se sent rejeté, pas important aux yeux de quelqu’un, on va réagir en fonction d’un égo blessé et non d’un état de conscience élevé. J’ai beau prôner que chaque être humain est une parcelle divine du grand Tout, quand je tombe en obsession, que mon mental s’affole et que je me frustre toute seule dans ma tête, je suis bien plus une blessure à vif qu’une étincelle divine!
Bref, cette réponse me satisfait. C’est un bon sujet de méditation! Ce sacré égo, c’est vraiment la mission de tous les êtres humains, de s’en détacher afin qu’il ne dirige plus notre vie. Un égo veut nous définir en fonction de nos accomplissements professionnels, de nos biens personnels, de notre statut social. C’est aliénant de vivre avec cette pression.
Ça me fait penser, récemment, une fille avec qui j’allais au secondaire a pris contact avec moi sur Facebook. Elle m’a posée l’atroce question: qu’est-ce que tu deviens? Étant une artiste qui mène un combat à chaque jour pour trouver du travail, qui vit un peu en marge de la société en n’étant pas salariée mais travailleuse autonome, qui n’a pas d’enfants, pas de chum à trente ans, qui vit seule en appart et qui selon les normes de l’Égo, n’a pas accompli grand chose, c’est vraiment confrontant de répondre à cette question. En plus qu’elle, elle est rendue avec un super poste de directrice de son département, dans un domaine hyper compétitif. Vue d’une page Facebook, elle a une vie parfaite. Des projets menés à terme, de la reconnaissance publique, des petits papillons qui volent sûrement dans son bureau pour égayer ses journées.
Et ça m’a alors frappée… On n’honore pas le développement personnel dans notre société. J’aurais eu envie de lui répondre : Eh bien! Je travaille sur moi depuis 12 ans pour m’outiller dans la vie qui est tout sauf un long fleuve tranquille; j’ai réussi à me libérer de plein de patterns handicapants, je parviens à me choisir et à me respecter de plus en plus souvent. Je suis fière du travail que j’accomplis parce que je ne suis vraiment plus la fille que j’étais il y a un an, 3 ans, 10 ans… J’évolue. C’est un cheminement ardu mais j’ai choisi la voie de la conscience et je l’assume.
Mais non, c’est pas ce que j’ai répondu. J’ai parlé de mes contrats récemment décrochés, de mes projets professionnels et la discussion est morte assez rapidement. Je rêve d’un monde où mon scénario numéro 1 ne sera pas utopique…
La journée se déroule en alternance de théorie et de méditations. Ma tête est pleine. Je voudrais tout retenir, tout intégrer. Comme tu le sais, je suis reconnue pour ma légendaire impatience dans la vie! Mais à chacun son rythme. La nuit va permettre à mon corps d’intégrer ce qu’il peut!